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Sobek-Néférou, femme Pharaon avant la tourmente

Bonheurs du Moyen Empire

Vers 2060 av. J.-C., l’Égypte sort d’une longue crise. Pendant deux dynasties, les XIe et XIIe, de 2133 à 1785, trois lignées de pharaons, les Montouhotep, les Amenemhat et les Sésostris[25], gouvernèrent un pays de nouveau prospère, dont l’œuvre architecturale, malheureusement, a presque complètement disparu. Certains monuments, démontés avec soin, furent utilisés comme fondations de leurs propres édifices par les rois du Nouvel Empire. On peut admirer, néanmoins, la « chapelle blanche » de Sésostris Ier, reconstituée par l’architecte français Chevrier et exposée à Karnak, dans le « musée en plein air ». Élégance de la géométrie, beauté du calcaire, finesse des hiéroglyphes, perfection des scènes sculptées : tout évoque cet « âge classique » du Moyen Empire, pépinière de grandes œuvres littéraires comme le Conte de Sinouhé, véritable roman d’espionnage qui narre la mission d’un dignitaire égyptien à l’étranger et son retour au bercail.

Certes, on ne construit plus de pyramides géantes en pierre de taille comme celles du plateau de Guizeh, mais le symbole n’est pas abandonné, même si les pharaons de cette époque se contentent de pyramides plus modestes, dont certaines accordent une large part à la brique. Néanmoins, un site comme celui de Licht, au sud du Caire, témoigne d’une grandeur toujours perceptible, malgré les destructions infligées aux ensembles funéraires des Sésostris.

On a tenté, ces dernières années, de démontrer que le statut social et légal de la femme égyptienne s’était un peu dégradé au cours du Moyen Empire ; mais l’étude de la documentation prouve qu’elle demeurait libre et autonome, conformément aux principes civilisateurs énoncés dès la première dynastie.

Le Moyen Empire connut trois siècles et demi de paix qui s’achevèrent par le règne d’une femme Pharaon, Sobek-Néférou.

Sobek-Néférou : un règne, des noms, des monuments

De 1790 à 1785 av. J.-C., une femme règne en tant que Pharaon. Sa présence historique est confirmée par ses noms royaux et plusieurs monuments. Peut-être était-elle la fille d’Amenemhat III et la sœur, ou l’épouse, d’Amenemhat IV, son successeur. La durée exacte de son règne est inconnue : cinq ans pour les uns, trois ans, dix mois et vingt-quatre jours pour les autres, qui suivent le papyrus de Turin.

Aucun état de crise ne précède la venue au pouvoir de Sobek-Néférou, pharaon légitime et reconnu comme tel. Un document exceptionnel, malheureusement mutilé, la statue du Louvre E 27135, était une représentation de Sobek-Néférou, à la fois femme et roi. De cette œuvre imposante en grès rouge, seul subsiste le torse ; la tête, les bras et les jambes ont disparu. Que voyons-nous ? Les seins d’une femme en partie couverts de la longue robe traditionnelle et, sur cette robe, un tablier de pharaon ! Ce type de vêture est unique dans la statuaire pharaonique préservée. Comment savons-nous qu’il s’agit bien de Sobek-Néférou ? Grâce à son nom, écrit en hiéroglyphes sur la ceinture. Par-dessus son vêtement féminin, elle avait donc revêtu le vêtement masculin du roi, alliant ainsi les deux natures, et devenant un Horus féminin.

Son nom fut également gravé sur une architrave d’un temple de la cité d’Hérakléopolis, sur des pierres du temple funéraire d’Amenemhat III, et sur d’autres statues la représentant et provenant du Delta ; ces quelques vestiges laissent supposer l’existence d’autres œuvres, aujourd’hui détruites ou enfouies dans les sables, ou bien enfermées dans des collections particulières.

Sobek-Néférou fit-elle construire une pyramide, comme ses prédécesseurs ? C’est plus que probable, et l’on suppose qu’elle se trouvait sur le site de Mazghouna, au sud de Memphis ; les fouilles n’ont pas encore livré un élément d’identification décisif.

Conformément aux règles de la titulature en usage depuis la Ve dynastie, le pharaon Sobek-Néférou porte cinq noms :

Nom d’Horus : L’aimée de la Lumière divine (Râ).

Nom des Deux Souveraines[26] : La fille du sceptre Puissance (ou : de la Puissante), la Maîtresse des Deux Terres.

Nom d’Horus d’or : Stable d’apparitions en royauté (ou : celle dont les couronnes sont stables).

Nom du roi de Haute et de Basse-Égypte : Sobek est la puissance (ka) de la lumière divine (Râ).

Nom de fille de la Lumière divine (Râ) : Beauté parfaite (néférou) de Sobek.

Par ses noms, cette femme Pharaon définissait son programme de gouvernement et son mode d’action spirituel. Remarquons qu’elle insiste sur sa relation avec la lumière divine, sur sa puissance, sur sa stabilité et surtout sur un fait plutôt surprenant : elle incarne la « beauté parfaite » du dieu crocodile Sobek, qui est lui-même la puissance de la lumière.

Pour qui a contemplé de près un crocodile, le terme de « beauté » n’est pas le premier qui vient à l’esprit ; pourtant, les Égyptiens considéraient Sobek, l’incarnation du principe créateur symbolisé par le crocodile, comme un grand séducteur et un voleur de femmes, tout aussi capable de châtier l’adultère. Ce prince charmant-là ne faisait qu’une bouchée des gentes dames, et c’est sans doute pour conjurer le danger que Sobek-Néférou transformait en beauté l’agressivité du saurien. Elle devenait elle-même crocodile et, comme le précise sa titulature, « Sobek du Fayoum ».

Le Fayoum est un petit paradis, à une centaine de kilomètres au sud-ouest du Caire. Les pharaons du Moyen Empire s’attachèrent à la mise en valeur de cette région, notamment grâce à d’importants travaux d’irrigation qui en firent un immense jardin, doublé d’une réserve de pêche et de chasse. Le dieu de la principale ville du Fayoum, Shedet (la Crocodilopis des Grecs et l’actuelle Medinet el-Fayoum), était précisément Sobek dont l’une des fonctions majeures consistait à faire monter le soleil du fond des eaux, afin de faire jaillir la lumière sur terre et de déclencher ainsi le processus de fertilisation. Considéré comme le « grand poisson », le maître des rives et des marais, Sobek était bien la « puissance de la lumière divine », apte à extraire la vie de l’océan ténébreux de l’origine et à rendre le pays verdoyant[27]. Telles étaient les tâches que Sobek-Néférou, le pharaon crocodile, se fixait à elle-même.

La tourmente : une invasion venue du nord

Au nord-est du Delta, la frontière de l’Égypte est fragile. Une voie d’invasion naturelle se révélait fort tentante pour des populations nomades, les Hyksôs[28], qui formaient des clans de pasteurs volontiers pillards. Depuis longtemps, ils jetaient un œil avide sur les riches terres cultivées des Égyptiens.

Pourquoi une vague d’invasion se déclencha-t-elle vers 1785 av. J.-C. ? Sans doute parce que des peuplades asiatiques se joignirent à ces clans, avec la ferme intention de s’emparer de l’Égypte. Le dispositif de sécurité des pharaons se révéla très insuffisant, l’attaque des Hyksôs fut un succès. L’armée de Sobek-Néférou ne parvint pas à repousser ces envahisseurs qui s’installèrent dans le nord du pays et contrôlèrent même Memphis.

Horus femelle, Sobek-Néférou[29] fut un authentique pharaon, considérée comme tel par les anciennes listes royales. Elle affirma le lien des femmes de pouvoir avec le dieu crocodile Sobek, dont la première prêtresse avait été Khénémet-Néfer-Hedjet, l’épouse de Sésostris II. Trois autres grandes dames souligneront ce rapport symbolique : Ahmès-Néfertari, Hatchepsout et Tiyi[30].

Alors que le pays se divisait en zone libre et zone occupée, comment se déroulèrent les derniers jours de règne de Sobek-Néférou ? Nous l’ignorons. La date précise de l’invasion des Hyksôs demeurant inconnue, il n’est même pas certain qu’elle eut à les affronter directement.

 

Les égyptiennes
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